Camille Bochet

Février 2017, je m’envole pour le Népal afin d’y réaliser mon travail de terrain dans le cadre de mon Master en Etudes du Développement et Environnement. Appréhension, fierté, curiosité, plusieurs sentiments s’entremêlent dans ce départ pour une aventure préparée depuis bientôt une année.

Ce temps a été nécessaire notamment pour chercher une organisation partenaire qui pourrait m’apporter un soutien logistique et de connaissance du terrain, en l’occurrence l’Himalaya népalaise. En contrepartie, je souhaitais que mon travail apporte des données qui puissent être utiles, par exemple à un acteur du développement. Chose plus motivante que d’imaginer son rapport finir dans les tiroirs des archives de l’Université…

Ceci m’a donc amené à développer un partenariat avec l’ONG Norlha et intégrer leur équipe travaillant sur des projets mettant l’accent sur le rôle clé joué par les femmes dans le développement des activités agricoles de certains villages de montagne. Au-delà de la nécessité de considérer autant les hommes que les femmes dans les projets de développement, dans des pays aux coutumes très patriarcales, le Népal est confronté à une migration masculine massive vers les pays du Golfe, de la Malaisie et historiquement de l’Inde. C’est ainsi que je me suis intéressée à l’impact de l’absence de cette majorité d’homme sur la capacité des femmes à maintenir et développer des projets dans l’agriculture.

L’arrivée à Katmandou est un vrai choc : pollution, poussière, chaleur, cahot intégral dans les rues où motos, taxis et bus se déversent dans un concert de klaxons (qui seront interdit 1 semaine avant mon retour en Suisse !). Je m’inquiète presque un peu à l’idée de devoir me déplacer dans cette ville pour aller à la rencontre de mes contacts préétablis en Suisse et interviewer ces chercheurs ou membres d’ONGs qui ont généreusement répondu à mes sollicitations. Mais les doutes seront vite levés et après quelques jours d’adaptation je n’ai plus d’appréhension à négocier les prix des taxis, sans toutefois avoir osé prendre le bus, car tout était écrit en népali. Arrive enfin le temps où je pars pour « mon » terrain de recherche.

Le trajet jusqu’à Gatlang dure normalement une journée entière, avec une majorité du parcours s’effectuant sur une route non-asphaltée de montagne. Autant dire que l’on sait quand on part mais pas forcément quand on arrive.

Arrivé dans le village, il faut à nouveau s’adapter à un nouvel environnement. Si l’air est cette fois pur et que les températures ont drastiquement baissé, tout est beaucoup plus rustique. Ce qui donnera la possibilité à un animal non identifié (chat, fouine, rat ?) de venir se promener sur mes jambes la première nuit… Je ne sais pas lequel de nous deux aura eu le plus peur au final. Rapidement, on met en place des stratégies avec mon interprète anglo-tamang, le dialecte de la communauté, pour entrer en contact avec les femmes ciblées pour mon travail, les rencontrer et que je puisse collecter des données qualitatives utiles au développement de mon mémoire. Mais ce n’est pas facile de travailler en utilisant un « filtre » aux mots et expressions de mes interlocutrices.  Un autre obstacle est la présence de tierces personnes durant les interviews, d’autant plus si celles-ci sont les maris, beaux-frères et autres membres masculins dominants de la famille. Les femmes sont dans ces cas souvent plus discrètes, s’épanchent moins sur les difficultés d’être une femme, d’élever des enfants et travailler, beaucoup, dans les champs.

De part mon statut de femme européenne, perçue comme tous les autres touristes, il aura été très dur de casser cette image d’étrangère. Une personne de plus ou de moins à venir leur poser des questions ne changerait de toute façon pas beaucoup leur vie. Ils en ont vu passer tant d’autres avant, qui leurs ont donné de l’argent, promis monts et merveilles, sans suite. A ce sujet, Dipshika, une pétillante trentenaire vivant à Katmandou et travaillant dans le développement m’a raconté l’histoire suivante : « Dans les enquêtes de terrain, prends la plus vieille femme du village le plus reculé du Népal. Elle te demandera avant l’entretien : « Bachelor, Master ou PhD ? ». En fonction de ta réponse, elle te dira ce que tu veux entendre ». Par ces mots, Dipshika, ayant elle-même fait des travaux de terrain pour son master, traduisait la fragilité des réponses obtenues auprès des populations inlassablement ciblées par les programmes d’aide au développement et les divers travaux de recherche en anthropologie, géographie, développement, etc. L’espoir d’obtenir quelque chose, ou encore la lassitude de ne pas voir sa situation évoluer, influence en effet certainement le comportement et les propos de ces hommes, femmes et enfants, devenant parfois peut-être qu’un simple numéro, anonymisé, sur un fichier Excel.

Dans ce contexte, les résultats de ma recherche sont limités dans l’espace et dans le temps, puisque la situation des femmes à Gatlang n’est de loin pas la même que dans les communautés hindouistes des plaines fertiles du Terai et que la globalisation des échanges entraine des changements rapides de société. Mais qu’à cela ne tienne, c’est une expérience humaine qui laissera une trace indélébile dans mon parcours de vie, ma relation à la recherche de terrain et au développement plus généralement.